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"Le français va très bien, merci !". Un collectif de linguistes au créneau.

Le français est-il en danger ? 18 linguistes francophones s’élèvent, dans un texte publié chez Gallimard, contre un discours ambiant contradictoire, des contrevérités ou des pseudo-théories sur la langue.

Ce collectif d’experts a pris la plume sous la forme d’un manifeste publié dans la collection "Tracts" chez Gallimard, pour s’élever contre un discours ambiant contradictoire, des contrevérités ou des pseudo-théories sur la langue.

Extraits de l’article paru sur Liberation.fr :

[...]

Parlons-nous "la langue de Molière" ?

Une expression au formol. Les pièces du grand dramaturge ont en moyenne 350 ans d’âge, rappelle le collectif. Cela fait bien longtemps qu’on ne dit plus jocrisse ( « niais », les Femmes savantes), pimesouée (« femme maniérée », le Bourgeois gentilhomme) ni Hymen pour mariage. Sa grammaire même a été dépassée. Car « je vous le demande avec larmes » (Dom Juan) ne comportait alors pas de faute.

L’hypothèse de traduire Molière en français contemporain a pourtant été battue en brèche. « Il vaudrait mieux faire découvrir la langue de Molière comme une langue différente », disent les linguistes atterré·e·s.

Le français est-il en déclin ?

On n’a jamais parlé et autant écrit en français : « On estime à présent que plus de 300 millions d’humains ont le français en partage à des degrés divers ». La France, où 75 langues coexistent, est elle-même plurilingue. Le collectif suggère d’ailleurs une révision de la Constitution pour pouvoir ratifier la Charte européenne des langues régionales, arlésienne polémiste.

Quant à la peur des anglicismes (par ailleurs sujet d’un autre « Tracts » d’Alain Borer en 2021, « Speak White »…), il rappelle que près de la moitié du lexique anglais a été empruntée à l’ancien français ou au normand, et que « spoiler » par exemple vient du français. « Le mélange, l’impur, sont des signes de vitalité pour une langue. »

L’Académie française se voit taxée d’une vision trop souvent élitiste de la langue et de retardataire sur son évolution. Pourquoi ne pas y élire pour moitié des linguistes ? Ou même créer à la place un Collège des francophones ? [...]

Lire l’intégralité de l’article sur Liberation.fr


Extrait

"Décrire ou prescrire ?

La langue française est un sujet qui nous relie et nous divise. C’est le cas de toutes les langues du monde : la langue est un pouvoir. Maitriser la langue, c’est se faire entendre, avoir voix au chapitre. Mais les langues, si elles permettent d’écrire les lois, sont également soumises à des règles.

Dès leur entrée à l’école, les francophones entretiennent un rapport ambigu à leur propre langue, entre amour et crainte, créativité et contrainte. Bien que des règles soient nécessaires pour se comprendre les uns les autres, elles ont en français un poids particulier : celui de la peur de la faute. Les questions qu’on apprend en premier à se poser sur la langue commencent souvent par « Est-ce que ça se dit ? Est-ce que c’est correct ? Est-ce que c’est français ? ».

Pourtant, la forme correcte d’aujourd’hui est souvent la faute d’hier. La plupart des évolutions de notre langue au fil de son histoire sont liées à des adaptations phonétiques, des écarts ou des assimilations. Nécessité faisant loi, les langues évoluent en tendant à une certaine économie ou en visant l’efficacité. Pour la plupart, les raccourcis empruntés par l’usage se sont implantés à une époque où l’idée même de norme n’était pas évidente. Pour ne citer qu’un exemple, le mot fromage vient du latin tardif formaticum. La forme correcte d’un point de vue étymologique est donc formage et non fromage. Ce sont les mêmes raisons de modification phonétique qui ont présidé à l’inversion du forma en froma qui font aujourd’hui prononcer parfois par mégarde infractus ou génicologue. En ce sens, on pourrait dire, sans trop tordre notre histoire que, finalement, le français actuel, c’est d’abord du latin tardif oral et régional avec des « fautes », ensuite du français ancien.

Les linguistes qui mènent des recherches sur le langage savent que la langue est en perpétuelle mutation. Ils l’observent comme les biologistes observent un être vivant, avec toute la rigueur que le souci d’objectivité leur impose. Ils ont élaboré des méthodes d’observation des usages, des contacts entre les langues, de la diffusion dans le temps et l’espace des traits de prononciation ou des néologismes (mots nouveaux), des méthodes expérimentales pour décrire et comprendre l’acquisition du langage par les enfants, les pathologies du langage, la fréquence de certaines tournures, les principes qui gouvernent les dialogues et interactions humaines, les rapports entre langues et cognition, etc. Le but de leurs recherches est de décrire et de comprendre."

Les linguistes atterré·e·s, Le français va très bien, merci
Ed. Gallimard coll. Tracts - 63 pp. 3,90 €.