"C’est l’ensemble de la profession qui est en danger"

Michel Boiron, Directeur général du Cavilam : "Nous attendons des pouvoirs publics une prise de position claire pour sauver le Cavilam et l’ensemble de la profession aujourd’hui en danger". Il répond à nos questions :
Michel Boiron, vous avez été amené prendre des mesures d’urgence pour parer aux conséquences immédiates de cette crise exceptionnelle. Qu’attendez-vous aujourd’hui précisément des pouvoirs publics ?
"Face à la disparition presque totale de notre principale source de revenus, c’est-à-dire l’accueil d’étudiants étrangers venant en France pour vivre une immersion linguistique et culturelle ou pour préparer des études en France, nous avons réagi en prenant des mesures immédiates.
Nous avons bloqué les salaires et supprimé toutes les dépenses non essentielles. Nous avons adapté nos activités et nos modes de travail en mettant en place des formations en ligne et en en ajustant nos horaires de travail pour proposer des cours en tenant compte des fuseaux horaires. Nous nous sommes démenés pour générer de nouvelles ressources en répondant à des appels à projets.
Enfin, nous avons été attentifs aux évolutions des mesures proposées pour aider les entreprises en difficulté et avons fait appel au prêt garanti par l’Etat, au report des charges, etc. Nous avons également participé à l’effort des différents groupements professionnels pour demander aux autorités d’assimiler l’activité des centres de langue à celles du Tourisme et du monde culturel. Mais dans ce domaine, il semble que nous ayons piétiné sans avancer. Nous continuons inlassablement notre action dans ce sens.
Il s’agit aujourd’hui d’assurer un avenir au CAVILAM – Alliance Française, mais au-delà à l’ensemble de la profession en danger. Ce que nous attendons des pouvoirs publics, c’est une prise de position claire pour que les centres de langue puissent bénéficier des aides destinées au monde du tourisme et de l’hôtellerie et que cette décision soit relayée localement dans les services de l’Etat pour que nous obtenions, par exemple, une exonération momentanée des charges patronales."
Quels sont à ce jour les soutiens, de la part d’élus ou des pouvoirs publics, qui se sont manifestés ?
"L’activité du CAVILAM – Alliance Française est importante à la fois nationalement et internationalement à travers son action pour la promotion du français et son rôle dans la coopération internationale. Le CAVILAM est un des centres de référence dans le domaine de l’enseignement du français langue étrangère et joue un rôle indéniable dans l’innovation pédagogique.
Cependant, avant tout, l’Association joue un rôle économique majeur localement avec habituellement l’accueil de plus de 4000 stagiaires à Vichy, ce qui représente plus de 110 000 nuitées par an.
Évidemment donc, le CAVILAM – Alliance Française est soutenu par les élus et responsables locaux, maire, président d’agglomération, député, sénateur… Le premier soutien est un relais actif et engagé de nos demandes vers les pouvoirs publics centraux et un soutien moral (non négligeable). Pour l’instant, il n’y a pas eu d’aide financière. Mais sans que cela ne soit acté dans les faits, nous savons la collectivité solidaire et qu’elle tentera de nous aider. Nous travaillons ensemble pour trouver des pistes concrètes."
Sous quelles formes le CAVILAM réussit-il à maintenir son activité de formation ?
"L’impact de la crise sanitaire a été brutal pour notre principale activité, l’accueil d’étrangers à Vichy : en été, nous avons subi une baisse de 90 % de notre activité habituelle et la situation s’installe dans la durée avec les incertitudes actuelles sur les évolutions de la pandémie. Tous les efforts n’ont pas réussi à compenser la diminution drastique de la demande de cours et donc la perte de revenus. Cependant, nous avons dans un premier temps continué à assurer nos cours en ligne en classes virtuelles pour les étudiants de français, puis développé une offre importante de formation pour les enseignants du monde entier. C’est aujourd’hui, d’ailleurs, notre principale activité.
Le CAVILAM - Alliance Française participe par ailleurs à de nombreux projets européens et de créations d’outils pédagogiques. Nous avons donc intensifié notre activité dans ces domaines qui ne sont pas forcément très bien rémunérés, mais qui permettent de donner du travail aux collègues. Enfin, nous avons continué notre trajectoire d’innovation en lançant un nouveau projet : « La Fabrique », une plateforme de mise à disposition de supports pédagogiques prêts à l’emploi pour les classes de niveau A1."
Cette crise est-elle susceptible de modifier à moyen terme l’activité, voire le paysage, des centres de FLE en France ?
"Les conséquences dévastatrices de la crise sanitaire sur le monde du FLE en France sont évidentes et cruelles. Beaucoup d’institutions sont directement impactées et menacent de disparaître. Ce sont des emplois perdus, des vies bouleversées… Cela s’apparente à un tsunami… Le danger est à très court terme, immédiat. Il dépend de la capacité de résilience financière des structures, d’où l’importance des aides publiques.
Comme après un cataclysme, les choses se reconstruiront au gré de la demande qui renaîtra. Il est probable que la demande de français et de France reviendra. Ce qu’il est difficile d’évaluer, c’est la durée de la crise et combien d’institutions pourront résister.
D’un autre côté, cette crise apportera aussi son lot de conséquences bénéfiques.
Nous constatons une formidable avancée en termes de compétences des enseignants qui se sont approprié des techniques des classes virtuelles et le numérique. Il y a eu un vrai bond en avant. De nouveaux produits et modes d’enseignement sont apparus (classes virtuelles, classes comodales, formations en ligne...) qui continueront à exister après la crise et génèreront une source complémentaire de revenus pour les centres de langue. Comme dans toute crise, les problèmes génèrent aussi de l’invention, de l’innovation et donc des avancées utiles à la collectivité.
Comme je le répète fréquemment, le présent est particulièrement complexe, mais il y a un avenir pour notre profession."
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